Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Sol vivant et fertilité ?

Frédéric THOMAS

Sol vivant et fertilitéVoici une photo récente de 2 containers avec du blé prise dans le laboratoire de l’Unité de Recherche LEVA (Légumineuses, Écophysiologie Végétale, Agroécologie) de l‘Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers. Pour les besoins d’une expérimentation sur les interactions entre le couvert végétal et les organismes du sol, la terre de l’un de ces containers a été stérilisée (traitement thermique) pour obtenir un sol indemne de toute vie (bonne ou mauvaise) tandis que dans l’autre container, le sol a été laissé intact (directement issu du champ). Pour les besoins de l’expérimentation, le sol n’a volontairement pas été fertilisé. Trois mois après le semis de la céréale en mélange avec un trèfle et sans aucun apport d’engrais la différence de croissance et de comportement est édifiante.

A votre avis, lequel des containers a été stérilisé ? A votre avis, dans lequel de ces containers la céréale est la moins atteinte de maladies ?

Eh bien, contrairement à ce que la grande majorité pense, c’est le container de gauche qui a été stérilisé

Cela signifie-t-il qu’il est préférable de stériliser le sol pour obtenir des céréales productives et en bonne santé et que nous avons tort d’essayer de développer des sols vivants, par nos pratiques ? Non bien entendu ! Cependant cette observation met remarquablement bien en avant le dilemme entre les bénéfices à court terme sur lesquels repose la majorité de nos grandes théories et pratiques agronomiques en opposition avec la conservation et même le développement de la fertilité des sols à moyen et long terme. Effectivement le blé pousse mieux dans le container de gauche. C’est ce même constat très banal qu’ont fait les hommes depuis les prémices de l’agriculture. Ainsi et pour garantir leur alimentation, ils ont et sans vraiment l’intégrer, choisi et développer des techniques « agressives » comme le feu, qui détruit non seulement la vie du sol, mais aussi la matière organique comme dans cette expérimention, le travail du sol, les phytos jusqu’à la stérilisation du sol. Le visuel (encore très présent aujourd’hui dans les milieux agricoles) et le court terme ont été toujours mis en avant sans prendre en compte la durabilité de leurs approches. Difficile de leur en vouloir puisqu’il s’agissait souvent plus de survie qu’autre chose, mais en 2015 il est peut-être possible de penser et d’envisager, grâce à nos connaissances, l’agriculture autrement.

En fait cette expérience démontre superbement bien plusieurs points :

- L’effet prairie. C’est l’élimination de toute ou partie de la vie du sol, quel que soit le procédé, qui déclenche, par la minéralisation des corps des constituants de faune et flore, un flush de fertilité minérale. Même si les plantes ne peuvent plus s’appuyer sur la collaboration qu’elles peuvent attendre dans le sol, elles trouvent une masse importante de nutriments de qualité qui leur permet cette croissance. Ce qui est terrible, c’est que plus l’action de destruction est forte, mieux ça pousse, ce qui donne envie de recommencer et même de faire encore plus. Le travail du sol risque donc de séduire encore beaucoup d’agriculteurs pendant longtemps !

- En pratique, on voit aussi qu’une plante bien nourrie et qui se développe correctement est souvent plus saine. Elle est moins la victime de maladies et de ravageurs qui ont en grande partie la responsabilité écologique d’éliminer les individus faibles et chétifs (action de sélection naturelle). Ceci est vrai même si le sol manque d’auxiliaires et d’individus antagonistes sensés protéger la plante de beaucoup d’agression. Faut-il encore vraiment croire aux équilibres biologiques et régulations naturelles ?

- Le moyen et long terme n’ont jamais été beaucoup intégrés dans les raisonnements agronomiques souvent basés sur la productivité immédiate. Si l’on répétait cette même expérience avec le même substrat sur plusieurs saisons il y a fort à parier que les tendances s’inverseraient assez vite. Aujourd’hui et avec nos connaissances nous pouvons prendre en compte cette dimension indispensable en terme de durabilité et continuer de travailler et évoluer dans ce sens tout en garantissant le quotidien.

- Notre principale difficulté en AC. La minimisation voire la suppression du travail mécanique, bien qu’il soit très positif pour la vie du sol, limite de fait et de manière importante la fertilité disponible. Il sera donc difficile d’installer des cultures performantes en TCS et à fortiori en semis direct sans localisation d’une partie de la fertilité que ce soit en conventionnel ou en AB. Ce sera un compromis indispensable pour profiter ensuite de sols plus vivants et plus aptes à gérer et distribuer la fertilité mais aussi l’eau tout en développant une activité biologique collaboratrice comme les mycorhizes.

Enfin cet exemple montre bien qu’il n’existe pas de monde idéal en agriculture et que la fourniture d’un flux plus important de nutriments reposera toujours sur la décomposition de vies que l’on agresse. Tout est donc histoire de compromis et de dosage subtils, comme nous tentons de le faire dans nos approches AC, pour garantir le quotidien tout en préservant l’avenir.