Semis Direct, Agriculture Durable et Agro-écologie !

Frédéric Thomas ; TCS n°91 - Janvier / février 2017

Après le terme « durable » qui a été surutilisé et même bien galvaudé, l’agro-écologie, portée par le ministère de l’Agriculture mais aussi différentes tendances du développement agricole, y compris nos réseaux AC, est en train de devenir le nouveau vocable consacré, le « Grall » que beaucoup ont vite intégré dans leurs discours. Afin
d’apporter un peu de clarté dans ce débat mais aussi d’éviter des utilisations inappropriées, il semble judicieux, pour la revue TCS – qui tend à s’appuyer et à faire la promotion de solutions agro-écologiques –, de proposer une lecture et quelques notes de précisions.

Commençons par un résumé et une clarification des définitions : L’agroécologie c’est concevoir, développer et mettre en œuvre des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités du vivant offertes par les écosystèmes. Elle vise à amplifier la production, en limitant les pressions sur l’environnement au sens large (eau, air, sol, biodiversité), tout en préservant les ressources naturelles. L’agroécologie considère plutôt l’exploitation dans son ensemble avec une approche systémique qui est élargie au sein du territoire et même de la région. Enfin, l’agronomie et l’écologie sont placées au centre des systèmes de production agro-écologiques avec la diversité comme toile de fond pour restaurer une mosaïque paysagère et animalière afin de renforcer les équilibres biologiques ainsi que les services écosystémiques.

Analysons quelques exemples de pratiques comme illustration :

- La simplification du travail du sol et le semis direct sont par essence des pratiques agro-écologiques. L’objectif est de réduire voire de retirer une action très perturbante pour l’activité biologique du sol que l’on cherche même à préserver et à amplifier. C’est en fait elle, en retour, qui va construire, avec l’aide des racines des cultures et des couverts, une organisation structurale performante. C’est aussi cette activité biologique qui va incorporer et recycler les résidus de récolte. Ainsi, avec les TCS et le SD, nous sommes bien dans une forte réduction de consommation d’énergie fossile (directe et indirecte), en transférant l’action de structuration et d’organisation du milieu « sol » à la diversité biologique qu’il est
censé abriter. En complément et comme avec l’agro-écologie, les bénéfices sont toujours plus larges et globaux, cette orientation s’accompagne de moins d’émissions de CO2 dans l’atmosphère ; action amplifiée par une séquestration de carbone dans les matières
organiques mortes et vivantes indispensables au bon fonctionnement du sol. Il faut ajouter aux effets collatéraux positifs la forte limitation de l’érosion et par conséquent la maîtrise des pollutions (matières en suspensions, nitrates, phyto…) en aval des bassins versants. Enfin et avec des sols qui retrouvent une diversité biologique, les écosystèmes environnants vont profiter d’une source d’alimentation diverse et continue, de lieux de reproduction et globalement de plus de moyens pour s’épanouir avec en retour, une
densification des interactions positives.

- Utilisation d’un drone pour cartographier la végétation des parcelles afin d’adapter les doses d’engrais épandues de manière précise en fonction des variations de sol et des besoins des cultures. Il s’agit d’agriculture de précision mais pas d’agro-écologie même si
l’approche permet de faire des économies substantielles, de réduire les pertes et de limiter les impacts environnementaux : l’approche s’appuie sur de la technologie et non sur des fonctionnalités du vivant. En opposition, l’utilisation d’une association culturale avec
des graminées/crucifères et légumineuses est une approche agroécologique. Elle va permettre d’accompagner parfaitement en continu les variations de minéralisation du sol et ses fournitures en azote avec la possibilité de faire appel à la fixation symbiotique qui utilise l’énergie de la photosynthèse. Avec cette stratégie et ces formes d’associations, en plus de gérer simplement une problématique complexe et de déboucher sur des économies conséquentes d’engrais et une réduction des risques de pollution, il sera possible de capitaliser sur moins de gaz à effet de serre, sur moins de risques de maladies et de ravageurs et sur un encouragement de la biodiversité au sein de
la parcelle, comme en périphérie.

- L’utilisation du travail du sol, du binage voire du brûlage pour l’élimination des « mauvaises herbes » n’est pas une approche agro-écologique. Même si cette action permet de limiter voire de supprimer l’utilisation de phyto, dont il ne s’agit pas de nier les risques, c’est une destruction mécanique qui consomme de l’énergie et qui impacte négativement l’activité biologique du sol. Il en va de même pour le roulage des couverts avec un rolo-faca. Bien que beaucoup moins stressant pour le milieu sol, ce n’est pas une stratégie agro-écologique puisqu’elle n’utilise pas des fonctionnalités de l’agroécosystème : il ne s’agit que d’une destruction « douce » du couvert végétal. En revanche, installer un couvert avec une diversité de plantes « agressives », qui vont permettre d’abaisser le niveau d’azote disponible pour calmer les plantes nitrophiles (adventices) tout en favorisant un écosystème de surface (carabes et limaces) qui va consommer une bonne partie des graines déposées au sol, est une approche typiquement agro-écologique de la gestion du salissement présent et futur. Cette stratégie apporte en prime une augmentation de la production de biomasse diversifiée pour nourrir l’activité biologique du sol et faire rentrer encore plus de carbone et d’énergie dans les agro-écosystèmes. Une végétation plus diverse et plus permanente avec des fleurs et des graines, c’est également plus d’opportunités pour les écosystèmes périphériques qui, en retour, ne manqueront pas d’apporter de temps à autre des aides précieuses avec des auxiliaires pour réguler ou plutôt éviter le dérapage d’un ravageur. Cependant et comme la nature fournit de multiples services gratuits qui ne deviennent visibles que le jour où ils ne sont plus remplis, il est évident que cette orientation apporte une diversité de bénéfices qu’il est possible d’imager par des exemples mais qu’il restera complexe d’évaluer et de quantifier dans leur ensemble.

- L’épandage d’insectes (trichogrammes, coccinelles...), de bactéries, de champignons et même de phéromones n’est pas de l’agroécologie non plus mais de la lutte biologique tout simplement. Certes, cette approche permet la non-utilisation de produits de synthèse à large spectre et souvent dévastateurs qui sont remplacés par des acteurs ou moyens issus du vivant dont l’action est plus ciblée et même écologique. Cependant, il s’agit toujours d’une posture de « lutte » avec l’introduction d’individus qui peuvent aussi avoir des effets collatéraux négatifs sur les écosystèmes, voire nous échapper comme c’est le cas pour les espèces dites « invasives. » En opposition, l’encouragement de la diversité biologique capable de réagir à l’intérieur et à l’extérieur des parcelles par une diversité de plantes et de cultures et le développement de stratégies « push-pull », que nous avons traduit par « repousser-charmer », sont des approches de gestion des ravageurs agro-écologiques. À ce titre, le colza associé est un très bon exemple de réussite. Outre permettre de réduire voire supprimer la nécessité du désherbage, les plantes compagnes comme le sarrasin, la féverole, le nyger et le lin limitent aussi les attaques des insectes d’automne qui sont repoussés et/ou ne repèrent plus leur plante de prédilection au milieu de cette jungle. Elles évitent ainsi des passages d’insecticides tout en favorisant les pollinisateurs et de multiples auxiliaires à l’automne : une période critique où beaucoup cherchent à accumuler des réserves pour passer l’hiver.


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