Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Recherche et Développement

JPEG Pour commencer ce topic, je vous rapporte une petite blague trouvée sur le net :
"Quelle est la différence entre un chômeur et un céréalier ??? ils font tous les deux le même boulot, mais n’ont pas le même salaire"

Allez, on va la prendre avec légèreté, mais on va approfondir un peu ses propos. Comme beaucoup d’agris aujourd’hui, je suis régulièrement le cours des céréales et les fluctuations de prix modifient peu à peu mes pratiques. Il y a 3 ans , il était inconcevable pour moi de vendre du blé avant la récolte, je m’accrochais au dicton "il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué" mais les courbes ont eu raison de mes vieux concepts, j’ai donc cédé à la tentation et je suis devenu ce que j’appelle un "spéculateur", malgré moi. Produire est une chose, bien vendre en est une autre !!! Avec la courbe qui illustre ce topic, on voit que le prix du blé à varié de 100 €/t. en moins d’1 an. De la folie selon certains, une aubaine pour d’autres... Je ne commenterais pas cette courbe qui va poser de gros problème à la filière élevage cette année encore (aux céréaliers demain), je veux juste mettre en relation l’augmentation du chiffre d’affaires des fermes céréalières avec le poste R&D figurant dans la comptabilité.
- Recherche et Développement, dans beaucoup d’entreprises industrielles, ce poste représente 3 % du chiffre d’affaire, pour une ferme de 100 ha, cela nous donnerais environ 3500 € de budget a consacrer annuellement à la formation et à l’expérimentation. Certes, on investi déjà 1000 € via les taxes foncières (chambre d’agriculture), il nous reste donc 2500 € de budget. Si de surcroit les cours sont favorables, je peux avoir une augmentation de mon revenu de 100 à 200 €/ha, soit un petit boni de 15 000 € pour une ferme de 100 ha. C’est là que les prévisions deviennent compliquées, un changement des cours du blé pour des raisons "extérieurs" à l’exploitation vont faire varier fortement le revenu de l’entreprise. Si en plus le paysan a décidé de travailler moins pour gagner plus, ce qui lui a permis de se libérer du temps pour se former et optimiser la commercialisation de son blé, on se retrouve dans une situation ou le revenu "explose" sans charge supplémentaire... Au bas mots, sur les 15000 € de revenu supplémentaire, on va devoir en redonner au moins 40 % à l’état sous forme de cotisation et d’impôt. Je ne suis pas contre la solidarité, je rappelle juste qu’a la différence du chômeur, il peut m’arriver pour des raisons extérieures à mon exploitation (accident climatique, chute des cours, ...) que mon revenu soit négatif, et dans ce cas la solidarité Nationale n’est pas de 40 % ....
Si vous m’avez suivi, on peut assez facilement imaginer que d’ici quelques mois, beaucoup d’agriculteurs investissent pour réaliser de la DFI afin d’éponger cette hausse des cours, on verra probablement beaucoup de tracteur neuf au pied des sapins à Noël, est-ce judicieux ??? Risque t-on comme en 2008 de voir ces tracteurs brillants, bourré d’électronique défiler devant les préfectures dans quelques temps parce que les cours se seront effondrés ????
Rassurez vous, je ne prévois pas l’avenir, mais cela me rappelle une phrase de Marie José Blazian d’Agrodoc , elle m’expliquait qu’investir dans la remise en forme des sols et modifier ces pratiques pour évoluer vers l’Agriculture de Conservation était un investissement à long terme, et que bien entendu il fallait profiter des bonnes années pour corriger des soucis de drainage, fertilité ou adaptation de matériel ( ferti localisé, perfectionnement des semoirs, ...)
- Pour en revenir à mon poste R&D, chacun investi ce qu’il veut là dedans, chacun gère comme il veut un surplus de trésorerie, mais il faut être près demain à continuer à produire, peu importe le prix du blé ( comme le prix du blé n’est pas lié à la qualité du produit, il est souhaitable que son prix de revient soit inférieur au prix le plus bas sur la courbe...). Si en plus le pétrole devient rare ou inabordable, on risque de voir d’un côté des agris pousser leurs tracteurs autoguidés pour défiler devant la préfecture et de l’autre des paysans, se promener eux aussi à pied, dans leurs champs afin de vérifier que l’argent qu’ils auront mis dans le R&D leur permet de continuer à vivre de leur métier malgré la volatilité des cours.
- A bon entendeur, il me reste a scruter le sapin des paysans pour savoir ce qu’ils auront choisi.......