QUI DISAIT QUE L’AGRICULTURE ÉTAIT FACILE ?

Encore une campagne exceptionnelle et compliquée à gérer. Après la douceur continue de l’automne et de l’hiver favorable au développement des cultures mais aussi des ravageurs comme les pucerons, le froid glacial de février a remis les pendules à l’heure. Efficace pour gérer les couverts, il a cependant endommagé certaines parcelles, complètement détruit d’autres et perturbé des associations de type pois d’hiver/céréale. Pour continuer, c’est le sec de mars et du début avril qui a sévi à son tour, limitant la minéralisation et pénalisant la reprise de végétation des cultures : à cette époque, tout le monde anticipait le même scénario de sécheresse printanière de l’année dernière. Enfin, ce sont les pluies réparatrices et bienfaisantes qui se sont transformées en déluge. Elles ont fortement perturbé les levées et les semis, mais aussi la récolte des fourrages jusqu’au début de la moisson. Sommes-nous face à un acharnement climatique ponctuel ou alors, les saisons ont-elles disparu ? Ce début de campagne encore très particulier apporte cependant son lot de réflexions stratégiques :

Bien que beaucoup de ces excès climatiques puissent se retrouver dans les annales météos, ce sont plutôt ces enchaînements de conditions « exceptionnelles » et leurs amplitudes qui inquiètent. Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. À l’échelle de la planète, beaucoup d’autres régions sont impactées d’une manière ou d’une autre au regard de la sécheresse historique que connaît l’ensemble du continent nord-américain. Tout en restant prudent sur cette analyse, il faut certainement accepter le fait que l’ensemble des activités humaines a vraisemblablement commencé à modifier les grands équilibres avec en retour les prémices des perturbations climatiques annoncées par les experts. Nous allons certainement devoir apprendre à vivre dans ces nouvelles conditions et, pour l’agriculture, apprendre à produire avec beaucoup moins de certitudes et d’assurance météo, alors que c’est d’abord et largement le climat qui détermine les niveaux de production.

Face à lui, le sol joue aussi un rôle prédominant et c’est pour cette raison que nous parlons plus de conditions « pédo-climatiques » : le tandem qui détermine majoritairement les potentialités agricoles. C’est bien le sol, d’abord réservoir d’eau et de nutriments, qui amortit les variations climatiques. Par contre, si nous sommes dépendants de la terre que nous cultivons en matière de texture et d’épaisseur, nous sommes, par nos pratiques culturales, en grande partie responsables de l’organisation structurale, de l’activité biologique et de l’autofertilité en général. À ce niveau, nous possédons avec l’Agriculture de Conservation, même s’il paraît faible, un moyen de tamponner le climat qui dans beaucoup de cas cette année a fait la différence. En céréale, c’est l’autofertilité des parcelles qui a quelquefois permis d’attendre la solubilisation des engrais azotés et en maïs, c’est la meilleure gestion de l’eau qui a fait la différence entre une parcelle de maïs qui a dépéri et qu’il a fallu ressemer et une autre qui a courbé l’échine mais passé les conditions difficiles.

Dans ce contexte et malgré les cours favorables des céréales, il faut conserver une stratégie « économe » car tout revirement de situation ou changement de culture, comme cette année après le gel, se paie très cher et endommage sérieusement le résultat final. Être équipé d’outils spécifiques et savoir implanter en simplifié ou en direct est également un atout qui a permis à beaucoup de repartir rapidement et à moindre frais sur une culture de substitution. L’intégration des couverts végétaux ouvre aussi plus facilement sur une approche « opportuniste » : si la culture, au coût de mise en place réduit, n’a pas survécu à l’hiver ou n’est pas satisfaisante à la reprise de végétation, elle devient sans état d’âme un couvert qu’il aurait fallu installer dans tous les cas. Il s’agit ici d’une stratégie qui peut être même développée avec certaines cultures comme les légumineuses d’hiver ou le colza associé.

La rotation est également un atout face à ces incertitudes climatiques : toutes les difficultés n’arrivent pas en même temps sur toutes les cultures avec en plus des phénomènes de compensation positive. De plus, une diversité de cultures partage et réduit les temps d’interventions ce qui permet, comme cette année, d’agir dans le peu de fenêtres favorables. Enfin, être habitué et préparé à une diversité de cultures rend facile la conception et la mise en oeuvre d’un plan « B » si besoin.

Ces conditions particulières amplifient en revanche les erreurs techniques qu’il s’agisse de structure de sol, de fertilisation ou de désherbage. Si celles-ci sont regrettables, l’observation des parcelles et des cultures doit permettre de comprendre et d’apprendre pour réagir en bonne connaissance de cause. Une approche plus précise et technique sera toujours mieux récompensée, même si rien n’est acquis et qu’une bonne idée peut se retrouver fortement challengée par des conditions particulières. En agriculture, il faut admettre que nous gérons en permanence des compromis. Aucune solution n’est parfaite et sans risque et tout est subtilité et adaptation. Le vécu de l’année ne doit pas non plus déboucher sur des changements radicaux mais doit alimenter le dossier « acquisition d’expériences ». Il faut rester campé sur les fondamentaux, garder ses objectifs, conserver le cap avec cette vision à moyen terme qu’apporte l’AC qui reste, quoi qu’il arrive, la plus sécuritaire.

Enfin, pour passer sereinement ce type de tempête, il faut aussi être solide psychologiquement afin de conserver une bonne réactivité, d’analyser, d’anticiper et de prendre les bonnes décisions même si elles ne sont pas faciles (comme celle d’abandonner une culture par exemple). Il faut admettre que le métier d’agriculteur est un métier à haut risque et au-delà des seuls aspects techniques et financiers, le mental, l’attitude positive, que l’on retrouve dans les réseaux TCS et SD, permet l’acceptation des difficultés et peut vraiment faire la différence.

Ainsi, l’un des bénéfices de cette campagne éprouvante est de montrer que l’agriculture est loin d’être une activité facile que l’on peut envisager de gérer comme l’industrie (programmation des activités et maîtrise d’une grande partie des conditions de production). C’est bien à cause de ces grandes incertitudes que la finance n’ose pas investir dans la production et préfère en laisser la gestion aux seuls agriculteurs tout en occupant habilement les circuits périphériques pour s’assurer une partie de la valeur ajoutée. C’est cependant cette spécificité qui exige une gestion et un traitement différents d’autant plus qu’il s’agit d’une activité hautement stratégique comme le montre la hausse des cours en ce début de moisson anticipant une forte diminution de la production mondiale en 2012. Aller vers des agricultures plus diverses, plus réactives et respectueuses des sols et des écosystèmes c’est aussi réduire les risques globaux pour plus de robustesse et de régularité dans la production à cette échelle.


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