Samedi 12 juin 2010
Philippe Jacquemin

Philippe Jacquemin est agriculteur en Champagne depuis 14 ans dont 10 en TCS et traitement bas volume. Il a été formateur durant 7 ans en agriculture et environnement. Passionné de photo, de nature et de voyage, il nous fait partager sa vision de l’agriculture.

Les faucheurs d’OGM ont-ils tort ou raison de détruire des cultures génétiquement modifiées ou pas ?

Philippe Jacquemin

Pour répondre à cette question il faut déjà comprendre qui veut nous diriger et faire un maximum de profit à notre détriment. Le regard se tourne vers les lobbies ou les groupes de pression qui veulent imposer les règles de fonctionnement de notre société. Pour atteindre cet objectif, quoi de mieux que d’influencer les décideurs officiels : les fonctionnaires et les hommes politiques. Parmi ces derniers, les députés européens qui font appel aux lobbies pour affronter la technicité des projets des directives et des règlements. Les groupes de pression emploient une grande partie des assistants parlementaires, avant, après, et même parfois pendant qu’ils exercent cette fonction. Après quelques années d’exercice, les assistants parlementaires privilégient l’accès à la Commission européenne ou l’entrée dans des groupes d’intérêt.

A l’heure actuelle, c’est 3 500 groupes d’intérêt qui exerceraient une activité de lobbying au niveau de l’Union Européenne. A peu près 2 600 ont des bureaux à Bruxelles. Environ 15 000 lobbyistes sont présents auprès des institutions européennes ou en appui logistique, représentant, pour plus de la moitié d’entre eux, des groupes d’intérêt à caractère commercial, directement, par le biais de cabinets de conseil ou en tant qu’avocats ; Approximativement 11 % représentent des associations d’intérêt général et à but non lucratif. A titre de comparaison, l’Union ne comprend que 30 000 fonctionnaires.

De nombreux textes communautaires sont issus directement des lobbies et il n’étonne personne que des propositions de directives européennes émanent de ces groupes de pression : parmi les propositions de directives présentées par la Commission en 1996, seulement 3 % correspondraient à des initiatives spontanées de ses services. Ce qui ce passe à Bruxelles se passe également à Paris, Berlin, Londres etc. Plus de 80% des lois en France sont directement issue de l’Europe. Les lois votées sur mesure sont, pour certains, des contraintes, des non-sens, des aberrations sur le terrain. Alors, pour s’y opposer, le recours juridique est long, coûteux et incertain pour obtenir gain de cause et modifier les textes. C’est pourquoi, les citoyens se tournent vers des actions de terrain médiatisées qui marquent les esprits et créent un mouvement populaire. Ce dernier seulement oblige les politiques à réfléchir, à prendre position puis à agir.

Les firmes semencières ont déjà réussi à imposer aux agriculteurs un catalogue de semences pour produire, notamment, nos denrées alimentaires. L’agriculteur n’a plus la possibilité de sélectionner ses propres semences et de les vendre si elles ne sont pas inscrites sur ce catalogue. Pourtant à l’issue de 10 000 ans d’agriculture tournée vers la sélection de variétés adaptées à un sol, à un climat, cette dernière se voit limitée, enfermée par un productivisme avec des variétés imposées que l’agriculteur n’a pas forcément voulu. Les firmes semencières imposent des variétés industrielles demandant beaucoup d’engrais, de pesticides pour produire, au final, du grain mal adapté aux conditions pédoclimatiques. De surcroît, ce grain au goût souvent insipide et peu payé, est très mal accepté par un grand nombres d’agriculteurs passionnés par leur métier noble. Face à cette situation déjà dégradée, l’arrivée des semences OGM via des lobbies très soucieux de leurs profits à très courts termes déclenche forcement un vent de contestation.

OGM dans l’agriculture ?

L’agriculteur compte parmi ses ennemis de longue date, les insectes ravageurs des cultures. Nombreux sont les textes historiques relatant les dégâts des insectes sur les productions. Selon des estimations faites en 1934, les cultures comptaient 236 espèces « parasites » des cultures (virus, bactéries, champignons, insectes, mollusques, oiseaux, mammifères, nématodes et acariens) dont 140 espèces d’insectes. Après plus de trente ans de révolution agrochimiques, le compteur s’emballe puisque 643 espèces destructrices des cultures sont inventoriées dont 278 espèces d’insectes. Parmi ces derniers, la pyrale du maïs, un papillon qui, suite à un bref accouplement, pond environ une vingtaine d’œufs pour donner dix jours après, des chenilles voraces ; en dévorant l’intérieur de la canne de maïs, les chenilles empêchent la formation de l’épi de maïs. Pour s’opposer à la chute du rendement du maïs, la lutte biologique utilise le parasite naturel de la pyrale, une bactérie (le bacillus thuringiensis) en aspersion au moment des premiers vols du papillon. Sur ce même principe et en défiant les lois de la nature, une firme semencière vend un produit 2 en 1 : des semences de maïs OGM hébergeant dans ses gènes ceux de la bactérie parasite de la pyrale. Ainsi, ce maïs OGM dit BT est résistant à la pyrale du maïs en produisant directement les toxines mortelles pour la pyrale. Face à cette invention humaine fort astucieuse, dame nature l’est encore plus en sachant la contourner : la pyrale du maïs sait s’adapter au maïs OGM et devenir résistant aux toxines BT. « L’homme apprenti sorcier » n’est pas dupe mais démuni en prenant des précautions illusoires : 20% de la parcelle doit être sans OGM pour éviter les souches résistantes de la pyrale du maïs. En effet, dame nature a dans son chapeau, un tour d’avance sur l’homme puisque quoi qu’il en soit, il y aura toujours un individu sur 100000 qui résistera au traitement. Les lignées résistantes sont déjà là et la lutte continuera et l’OGM n’aura servi, au final, à pas grand-chose tout en s’attirant les foudres, celles de promouvoir des pyrales de plus en plus résistantes à tout type de lutte. Alors restons humbles et faisons recours à des pratiques élémentaires mais les seules efficaces durablement : l’allongement des rotations culturales, la lutte biologique par la confusion sexuelle ou des produits biologiques et surtout établir un équilibre biologique en préservant et/ou restaurant la biodiversité dans et autour des parcelles agricoles. Pour s’en convaincre, deuxième exemple de plante OGM « tout feu tout flamme » : L’OGM résistant au désherbant total, le glyphosate. Cette plante OGM alias roundup ready, indestructible au désherbant total peut produire sans être concurrencée par les mauvaises herbes détruites par ce même désherbant. Mais que se passe-t-il l’année suivante ? L’agriculteur sème une autre culture, cette fois ci non OGM roundup ready ; les mauvaises herbes poussent et comptent désormais parmi elles des repousses de la culture précédente, à savoir l’OGM Roundup ready très difficile à détruire ! Alors direz-vous, l’une des solutions est la monoculture : planter toujours la même plante. Mais qui dit même plante dit même maladie et même ravageur qui vont s’installer durablement d’une année sur l’autre, sans compter sur la perte de la biodiversité et l’appauvrissement du sol Mais ces OGM, comment se reproduisent-ils ? Par le pollen volatile. Un autre problème se dessine, celui de la dissémination dans l’environnement par les pollens de ces plantes génétiquement modifiées.

L’OGM est avant tout le problème des firmes semencières qui doivent impérativement rentabiliser auprès de leurs actionnaires les investissements dans la recherche génétique, dans la protection de ses brevets et dans des lobbyings. L’OGM imposé au monde entier pourra ainsi générer des profits immenses sur le dos des agriculteurs, des consommateurs sans jamais résoudre les problèmes de fertilité des sols, de faim dans le monde comme trop souvent argumenté.

Vers une agriculteur écologiquement intensive

« Une nation qui détruit ses sols se détruit elle-même »
Franklin D Roosevelt 1937
Cette phrase a été dite après le dust bowl (nuage de poussière) qui plongea New York plusieurs jours dans un nuage de poussière suite au labour des sols dans les plaines du middlewest. Cela s’est produit plusieurs années de suite et ruinant l’agriculture de ce secteur par des très faibles rendements. Puis ces terres érodées et appauvries sont retournées en prairie à bovin. D’une manière générale, l’érosion des sols profitent aux déserts qui ne cessent d’avancer depuis que l’homme exploite les terres. Citons quelques exemples du passé, la Mésopotamie, le bassin méditerranéen, plus proche de nous ; quelques déserts qui avancent aujourd’hui : le Gobi et l’Australie. Pour enfoncer le clou de la désertification, la chine délocalise 2 millions d’hectares de ses besoins de productions en Argentine, Indonésie et Afrique. L’Arabie Saoudite emboîte le pas également en cultivant plusieurs milliers d’hectares au Soudan et au Kenya. La Corée du Sud en Mongolie, le Japon aux USA et Brésil etc… Les OGM qui devaient sauver le monde de la famine deviennent purement et simplement inutiles là où les sols sont désertiques, salins et stériles. Alors face à ces dérives quelles sont les solutions ?

L’agriculteur doit reprendre en main l’agronomie et ne plus la déléguer aux seules firmes phytosanitaires et semencières. La terre constituant le principal outil de travail, l’agriculteur a tout intérêt à en prendre soin. C’est une évidence qui incite à limiter le travail du sol pour ne pas détruire les êtres vivant du sol (insectes, vers de terre). Il doit également ne plus labourer les sols afin de limiter l’érosion hydrique et éolienne des sols ; aussi limite-t-il l’évaporation du sol (un labour de 28 cm de profondeur libère dans l’atmosphère environ 280mm/m² d’eau et 2t de CO2 en 24h).

Le sol est bien plus qu’un support de culture, mais un milieu vivant complexe ou des interactions biologiques et physico-chimiques sont multiples ; le sol nourrit les plantes et la concurrence peut très vite s’installer. A l’issue d’une récolte, la mise en place rapide des couverts végétaux limite les adventices et produit de la biomasse qui piège les nitrates et les autres minéraux. Sur la culture même, l’agriculteur doit réapprendre à observer son développement et son cortège d’adventices, de ravageurs, d’auxiliaires et de maladies pour mieux la protéger Le fruit de ce travail dépasse largement les performances des OGM puisque l’agriculteur œuvre pour reproduire un écosystème équilibré et performant : les racines des inter-cultures vont aérer les sols, retenir l’eau et les minéraux, extraire d’autres minéraux grâce aux mycorhizes, couvrir le sol et ainsi limiter l’emploi des désherbants et le travail du sol ; enfin les inter-cultures abritent les êtres vivants utiles aux cultures, les auxiliaires. Ces derniers contrôlent les ravageurs et l’agriculteur peut s’affranchir tout ou partie des insecticides. Pour limiter l’utilisation des herbicides et le travail du sol, des producteurs utilisent des couverts végétaux permanents sur lesquels ils sèment directement la culture. A la place du glyphosate, l’agriculteur utilise un rouleau barre pour écraser le couvert végétal.

La véritable révolution verte se fait par la biologie non OGM, la biodiversité dans et autour des parcelles agricoles et non pas par la chimie et/ou les OGM qui ont fortement appauvris l’environnement et conduit à la ruine des sols.