Avec la « révolution verte » qui a permis cette formidable augmentation de la production au siècle dernier, la grande majorité de l’innovation est venue de l’extérieur. C’est premièrement la mécanisation qui a permis des gains de productivité énorme. La fertilisation a suivi, d’abord pour corriger les déséquilibres minéraux des sols et progressivement subvenir aux besoins de cultures de plus en plus gourmandes, accompagnées d’une sélection génétique principalement axée, elle aussi, sur l’amélioration des rendements. Le tout a finalement été encadré par une protection phytosanitaire permettant de gérer tous les intrus qu’ils soient adventices, insectes ou maladies.
Ce flot d’innovations a non
s e u l e m e n t m o d i f i é l e
fonctionnement et les structures
des exploitations mais aussi, et
insidieusement, renfermé les
agriculteurs dans une situation d’attente passive. L’ensemble
de l’encadrement agricole s’est également organisé en
conséquence troquant son rôle d’accompagnateur pour celui
de courroie de transmission de ces sources de progrès mais
aussi d’affaire, de financement et de profit : l’image typique
du développement « top down » où les uns conçoivent,
d’autres transmettent et enfin les agriculteurs appliquent.
Aujourd’hui, la situation arrive cependant à une rupture
pour différentes raisons. Quel que soit le domaine,
l’innovation est devenue relative, les résultats techniques
stagnent, seule la productivité continue de progresser avec
l’automatisation et l’augmentation de la taille des outils. En
complément, la hausse et la raréfaction de l’énergie et des
matières premières en général, dont la mécanisation et la
fertilisation sont très dépendantes et consommatrices,
coupent court à tout objectif de croissance : c’est maintenant
l’économie qui va prévaloir. Enfin, avec le renforcement de
la conscience environnementale mais aussi une généralisation
des phénomènes de résistances, il faut trouver des alternatives
au tout chimique, une nouvelle forme d’équilibre entre
l’agriculture biologique et conventionnelle.
En fait, dans cette quête d’agriculture beaucoup plus
efficace, l’innovation très orientée économie et autonomie
pourra difficilement venir de l’extérieur. De plus, les
principales marges de manoeuvre se situent dans l’agronomie
et la qualité des sols, dans la réorganisation des systèmes de
production et d’exploitation, qui sont des domaines de
compétences où l’agriculteur est le mieux placé pour
intégrer tous les paramètres. À l’instar de l’agriculture de
conservation, où c’est l’observation, l’expérimentation et
le génie des agriculteurs qui ont permis de concevoir et
d ’ a d a p t e r d e s o u t i l s
performants, de déboucher
sur des mélanges de couverts
fonctionnels mais aussi de
calibrer des enchaînements
culturaux spécifiques aux
pratiques de non-labour,
l’innovation est en train de
changer de main.
De plus, ces sources de
progrès dématérialisés se
situent plus dans le domaine
de la connaissance et du savoirfaire.
Elles sont le fruit d’apports
et de réflexions d’une multitude
d’acteurs formés, ouverts et de
plus en plus polyglottes et
n’ont plus vraiment d’identité,
d’appartenance, de marque
voire même de frontière.
Par ailleurs, la validation
de ces nouvelles orientations,
bien plus compliquées à
évaluer par des approches
scientifiques conventionnelles
bâties sur la sectorisation et
l’isolation des paramètres, est beaucoup plus rapide avec des
essais dont le manque de rigueur et de précision est
largement compensé par le nombre comme la multiplicité
des situations et des conditions. En complément, la diffusion
se fait simultanément et ce processus de validation
s’accompagne automatiquement des modifications et des
adaptations nécessaires aux contextes locaux.
Enfin, cette nouvelle forme d’innovation emprunte
beaucoup moins les circuits conventionnels très cloisonnés
et peu adaptés mais utilise le bouche à oreille et des réseaux
plus ou moins organisés qui favorisent les échanges et le
partage d’expériences avec une facilité de communication
décuplée aujourd’hui grâce au téléphone portable et
surtout Internet.
Ce constat ne signifie pas pour autant qu’il faille moins
de recherche, moins d’encadrement et moins de
vulgarisation. Cependant, pour réussir la mutation qui est
imposée à notre agriculture par les bouleversements macroéconomiques
majeurs qui s’accélèrent tout en préservant
voire développant notre souveraineté alimentaire, il est
urgent, non seulement, d’orienter les pratiques vers
beaucoup d’efficience et de respect de l’environnement
mais aussi de faire évoluer l’encadrement pour qu’il puisse
accompagner le mouvement. Il s’agit, en fait, de mettre en
place des rapports nouveaux sans dominance ni conflit, des
relations animées d’un esprit de collaboration constructive,
du respect des différences d’approches et de confiance
réciproque centrées sur l’objectif commun : une
horizontalisation des liens et des relations qui caractérisent
les réseaux AC et qui ont permis l’optimisation de ces
pratiques comme leur diffusion.