Jeudi 18 juin 2015
Guillaume Bodovillé

Passionné d’agronomie, je contribue au site agriculture-de-conservation.com et au magazine TCS. Je m’intéresse aux pratiques agricoles innovantes permettant la conservation du sol et l’amélioration de sa fertilité.

Double couvert : été puis hiver

Guillaume Bodovillé

Stéphane Gatti, paysan en agriculture de conservation de la commune de Laplume, dans le Lot-et-Garonne, met en place dans ses parcelles des pratiques de régénération des sols, et notamment une rotation originale, qui méritent d’être décrites.

La rotation de 6 ans commence par un colza associé à des légumineuses gélives (lentille et fenugrec) et pérenne (luzerne ou trèfle blanc ou violet). L’objectif est d’avoir une légumineuse pérenne bien implantée afin de la conserver comme couvert permanent pendant 3 ans. Le colza est suivi par un blé tendre puis un triticale ou une orge d’hiver. Sitôt la récolte de la deuxième paille, si le couvert pérenne n’a pas survécu, un couvert d’été est semé, composé de sorgho à balai, de tournesol, de vesce, de phacélie, de pois fourrager voire de colza. Ce couvert d’été est détruit par roulage au moment du semis, en octobre, d’un deuxième couvert, cette fois d’hiver, composé essentiellement de féverole ; le gel de l’hiver finira de détruire le couvert d’été. Au printemps, les féveroles sont détruites au rouleau hacheur au semis du maïs ou du sorgho. Après la récolte, des féveroles occupent à nouveau l’interculture avant un tournesol ou un soja. Enfin, en dernière année de la rotation, les féveroles sont conservées pour la récolte en graines et sont un très bon précédent au colza.

La rotation n’est pas figée et si un couvert de féverole se révèle être prometteur, il peut être conservé comme culture et récolté.

Tous les semis de cultures et couverts sont réalisés en direct depuis 2009 (après une dizaine d’années de TCS), il n’y a plus aucun travail du sol.
Rotation Stéphane Gatti Si le colza est une culture récente sur l’exploitation, il n’en va pas de même pour la féverole qui est cultivée depuis 1995 (de la Castel), et qui s’est toujours montrée être un bon précédent pour des productions de porte-graines telles que des carottes, du persil ou du colza semence. Stéphane a choisi d’implanter le couvert permanent sous colza et non sous tournesol pour les raisons suivantes : le tournesol est la culture la plus difficile à réussir en semis direct et elle serait sans doute encore plus difficile à réussir avec un couvert en-dessous, l’interculture entre un tournesol et un blé est très courte, ce qui laisserait peu de temps au couvert pour se développer, alors que ce dernier dispose d’au-moins 3 mois entre la récolte d’un colza et le semis d’un blé. Si Stéphane implante des couverts depuis 2001, il pratique le double couvert d’été puis d’hiver depuis 2009 (à ce sujet, lire notamment en page 11 du TCS n°47), constatant qu’il était impossible de couvrir le sol en été et en hiver avec une seule plante. Les biomasses produites sont conséquentes : 7,5 t MS/ha avec le couvert d’été et 6 t MS/ha avec le couvert d’hiver ! La rotation ne comprend que 2 seuls semis au printemps, les sols à 45 voire 50% d’argile ne laissant que peu de créneaux pour intervenir en bonnes conditions. Comme le dit Stéphane, "si les argiles ne se fendent pas l’été, on n’arrivera jamais à les fendre", il faut donc que les plantes assèchent au maximum le profil et que le sol soit sec à la récolte. Aussi, sauf nécessité pour les autres cultures, seul le maïs est irrigué (le plus tôt possible, et seulement un ou deux tours d’eau). Et encore, seules des variétés de maïs ayant une bonne tolérance au stress hydrique sont retenues (cette année, du DKC5830). Le tournesol sera peut-être abandonné au profit du soja, une culture plus facile à réussir en semis direct et dont la date de semis plus tardive permet de trouver de meilleurs créneaux de semis.

Semis tournesol dans féverole d'hiver
Semis de tournesol dans un couvert de féveroles d’hiver. Crédit photo : Pierre Dumais.
Une particularité de la démarche de Stéphane est également de chercher à utiliser le moins possible de produits phytosanitaires : "Je veux donner plus de vie au sol, notamment en utilisant le moins possible de chimie." Stéphane n’utilise plus aucun insecticide depuis 7 ans, les variétés de blé et triticale sont choisies parmi les plus rustiques possibles, voire parmi celles recommandées pour l’agriculture biologique (cette année, blé tendre Nogal et triticale Vuka par exemple) de façon à limiter le recours aux fongicides, la levée du maïs ne nécessite pas l’application d’anti-limace, le désherbage des féveroles se limite à un anti-graminée, voire pas de désherbage du tout... Dans ces conditions que l’on pourrait qualifier d’extensives, la fertilisation est également réduite en relation avec l’objectif de rendement.

Stéphane cherche à produire et à stocker le maximum de carbone sur ses parcelles, c’est la raison pour laquelle 28 ha de son exploitation sont déjà conduites en agroforesterie et que son objectif est d’avoir, d’ici 2040, 2000 arbres sur 40 ha. Les parcelles, généralement bien orientées Nord/Sud s’y prêtent bien et des essences locales, observées dans les bosquets aux alentours, ont été choisies : érable, cormier, chêne, frêne, merisier, noyer, alisier, noisetier, saule, tilleul, poirier, pommier, peuplier... Les arbres sont plantés tous les 6 m, et les rangées d’arbres écartées de 25,5 m, soit une densité d’une cinquantaine d’arbres à l’hectare. Les peupliers se révèlent être aussi de bons perchoirs pour les rapaces, en plus d’être très productifs en termes de biomasse.

Stéphane est également président de l’association "Cultivons une terre vivante", qui compte 70 adhérents, essentiellement des jardiniers amateurs et quelques agriculteurs, et qui favorise l’emploi de BRF ou bio-fibre : 600 t de déchets verts sont traités chaque année et épandus sur une épaisseur de 15 cm sur les potagers (et 20 à 25 t/ha dans les champs avant le semis des féveroles). Le bio-fibre, souvent accompagné d’un couvert de féverole, occupe le sol l’hiver. Les légumes (salades, tomates, poireaux...) sont repiqués au retour des beaux jours, sans recourir ni à la bêche ni au motoculteur.

Stéphane est accompagné dans sa démarche par des spécialistes de l’AFAF, d’Agro d’Oc, de Gaïa32, de l’IAD… qui viennent régulièrement sur sa ferme.

Pour en savoir plus sur l’association "Cultivons une terre vivante" et sur la démarche de Stéphane : http://cultivonsuneterrevivante.e-monsite.com/(avec des photos actualisées régulièrement montrant les parcelles de Stéphane) http://www.agroforesterie.fr/AGREAU/documents/Fiche-Ferme-Agreau-Gatti-13-03-2014.pdf

Voir en ligne : Cultivons une terre vivante