Philippe Pastoureau

Éleveur dans la Sarthe et ACiste reconnu, Philippe PASTOUREAU multiplie les essais, toujours à la recherche d’amélioration. Rédacteur de longue date sur A2C, il relate ses expériences : un véritable appui technique et un vrai régal à lire !

Décompactage du cerveau 2.0

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J’ai subi mon 1er décompactage de cerveau dans les années 2000, cela consistait à admettre que le travail du sol mécanique pouvait être remplacé par le travail des vers de terre, travail rendu possible uniquement si on leur laisse suffisamment de nourriture posée à la surface du sol, c’était la découverte pour moi de l’agriculture du Carbone.

Face au quotidien dans les champs qui devient de plus en plus difficile (climat, ravageurs, retrait de molécules, pressions sociétales, ...), il était temps pour moi d’opérer une remise en cause de mes pratiques.

« Bienvenue en terrain inconnu »

Si on parlait de l’invisible maintenant

Mon taux de MO est désormais bien remonté, entre 2.5 et 3.5 % pour des sols à 10-15 % d’argile, j’ai beaucoup de vers de terre anéciques et une surface du sol qui s’assombrit avec le cumul des résidus que je laisse au champ tous les ans. Pourtant, les différents profils que je réalise se résument à la vidéo ci-dessous, les commentaires de Matthieu en fin de vidéo pourraient être tirés de mes champs.

Il fut compliqué pour moi d’admettre que j’avais des zones de mon sous-sol mal explorées, mais sur des limons fragiles, irrigués, les anéciques ne peuvent pas rivaliser avec le trafic généré par les machines de plus en plus lourdes.

J’aimerais vous parler de l’invisible, ces hyphes, mycorhizes, filaments, qui normalement colonisent nos champs mais qui sont mis à rude épreuve avec l’emploi de pesticides et engrais minéraux, peut être plus encore lorsque l’on est sur des sols à potentiel correct donc des fertilisations qui avoisinent souvent les 180 - 200 unités d’azote.
Voici une belle vidéo d’illustration de la mycorhization.

Suite à une formation sur la fertilisation fine des cultures avec Guillaume Tant du CER, j’ai compris que les vers de terre seuls ne me suffiront pas pour pouvoir réduire l’usage des "cides". Il faut absolument que je remette de la vie biologique dans cette zone de mon sol "inerte" et que je la préserve.
Je vais accélérer les cycles, continuer à chercher à capitaliser du Carbone mais je vais le faire fonctionner, accepter de le brûler parfois (mulchage des engrais verts) pour produire plus au final, je sors du dogme de ne pas toucher le sol, j’alimente mes plantes avec du carbone liquide, tel est le deal.
La 1ère étape va consister à injecter des EM (micro-organismes efficaces) dans les lisiers, en pulvérisation au moment de mulcher les couverts, en injection dans le sol là où cela est nécessaire.
Voici une vidéo hors cadre agricole mais qui résume très bien les vertus des EM. Pour la multiplication de celles-ci, j’ai personnellement acheté un ancien tank à lait (inox isolé) dans lequel je plonge une résistance et le tour est joué en quelques jours.
On verra plus tard que toutes ces petites bestioles nécessitent un peu de nourriture. Un peu beaucoup puisque nous devrons à terme apporter environ 2 t de sucre/ha pour rassasier tout le monde, sucre issu (je vous rassure) de la sève des résidus ou des couverts que nous laissons au sol, d’où l’importance du terme "engrais vert" .
Un couvert biomax à 4 t de MS par exemple, produit environ 20 t brute de résidus, avec un brix de 10%, cela nous donnera largement nos 2 tonnes de sucre.
Avec 5 tonnes de paille laissées au sol après moisson, il n’y a rien pour nourrir vos bactéries donc votre sol va s’atrophier, par manque de carbone liquide.

Comme cité dans la vidéo, les EM sont très utilisés dans les jardins pour remplacer l’usage des pesticides, mon épouse a testé au jardin, elle me dit que ses légumes n’ont jamais été aussi beaux.
Pour les sceptiques, essayer au jardin, sur la pelouse, le fraisier, ...

Fissuration et injection d’EM. 

Ma CUMA a donc investi voilà 18 mois dans un fissurateur afin d’aider les anéciques là où cela se justifie. Pour rendre cette fissuration mécanique durable, nous avons équipé les dents d’un petit tuyau afin d’injecter en profondeur (25-28 cm) un mélange d’EM et de mélasse pour les aider à survivre le temps que les racines re-colonisent ces zones inertes.
J’ai mis 15 l d’EM + 5 l de mélasse de canne à sucre (15 serait mieux) + des IT 45 .

J’étais loin d’être emballé par ce projet, mais le groupe étant toujours le plus fort, j’ai suivi...

Nous sommes ici en août dernier sur mon précédent colza associé de trèfle-luzerne, un méteil sera semé en octobre dans ce champ. Il est très important de fissurer sur du "vert", cela permet de ne pas fabriquer trop de terre fine et d’avoir des racines vivantes qui vont tout de suite coloniser les zones inertes (afin de nourrir et multiplier les EM que l’on vient d’injecter).

Nos tracteurs n’étant pas vraiment dimensionnés pour cet effort de traction, nous avons investi dans une masse de lestage arrière qui nous procure une adhérence parfaite.
4 à 5 km/h maxi, c’est parfait pour former la relève.

Sur cette parcelle, j’ai fait des témoins afin d’évaluer l’intérêt de la fissuration et des EM.
L’objectif n’est pas de passer cet engin tous les ans, ce serait stupide. Il ne faut fissurer que si cela s’avère nécessaire, et dans ce cas en profiter pour y injecter de la vie.
Cette opération ne se renouvellera peut être pas, peut-être dans 4-5 ans, ???
"Autant que possible, si peu que nécessaire" dixit Frédéric.

En octobre, le méteil a été semé avec le maxidrill qui m’a permis de mulcher la végétation en place.

- >Janvier 2020

La photo montre à gauche une motte prise dans la partie fissuré+EM, celles de droite sont fissurées uniquement.

10 mois après

Le méteil semé en octobre dernier a été ramassé le 3 avril pour un rendement correct de 4.2 t de MS. Un essai fertilisation a été mis en place par le CER afin de remplacer les fertilisants classiques pour des solutions favorables à la vie du sol tout en permettant d’obtenir un rendement identique. Les valeurs du fourrage seront également évaluées, nous y reviendrons plus tard.

Le semis de maïs est intervenu le 12-13 avril, l’engrais starter a été remplacé par 30 kg de souffre élémentaire, l’azote ne sera apporté en dirigé qu’au 10 juin au stade 6-8 feuilles.

Rappel en image pour ceux qui n’auraient pas vu :

Les photos qui suivent datent du 20 juin, je vous laisse les commenter et faire vos propres interprétations.
Le maïs a été, je le rappelle, semé de la même façon sur chaque bande ( strip till + souffre)

Bande 1 : Témoin non fissuré et sans EM
Bande 2 : Bande fissurée
Bande 3 : Bande fissurée + EM

- >Vue de la parcelle

- >Vue de la surface du sol

- >Vue des mottes sur la bêche ( test bêche)
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- >Vue des mottes de la zone 20-30 cm
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- >Vue des racines
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- >Comparatif
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Voilà de bien belles photos que le sol m’offre, la batteuse fera le juge de paix mais le rendement du méteil était comparable à la dernière photo,
et il faudrait être aveugle pour ne pas voir l’invisible...