Mardi 21 décembre 2010
Frédéric Thomas

Après des séjours aux États-Unis et en Australie, Frédéric THOMAS débute son activité de conseil de terrain et, en 1999, il crée la revue TCS. Il s’appuie aussi sur sa ferme, en Sologne, des terres sableuses hydromorphes à faible potentiel, où il met en œuvre l’AC avec réussite. Il est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs du développement de l’AC en France.

Conviction, expérience et connaissance (édito du TCS n°60)

Loin des effets de modes, les TCS et le SD sont progressivement en train de s’inscrire durablement dans le paysage agricole français. Les articles, les démonstrations, les rencontres et les formations se multiplient avec toujours plus de participants et cette véritable lame de fond, initiée au départ par des agriculteurs, commence à trouver une adhésion dans la recherche, les instituts, les syndicats, les chambres d’agriculture et même quelques grands groupes coopératifs. Cet engouement est certainement le début d’une véritable mutation qui s’amorce au sein de l’agriculture entretenue par une réussite dans les champs qui devient incontournable, par l’émulation et l’innovation des réseaux TCS qui commencent à mettre en œuvre le concept d’AEI (agriculture écologiquement intensive) et par la cohérence agronomique, économique et environnementale de plus en plus mesurée et reconnue de cette approche.

Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a une bonne vingtaine d’années, il fallait avoir une solide conviction pour s’engager dans cette voie que beaucoup critiquaient sans même en connaître l’étendue ni le potentiel. Il fallait être convaincu des aspects négatifs du travail du sol, convaincu des économies de mécanisation et d’énergie et convaincu que ce n’était tout simplement pas durable de continuer à travailler de la sorte. C’est, seule, cette conviction associée à beaucoup d’audace qui a permis aux pionniers de s’engager vers les TCS et le SD, de produire vraiment différemment, d’en accepter les difficultés tout en affrontant le regard des autres.

À cette époque, les références étaient, elles aussi, très limitées comme souvent les approches techniques où la suppression de tout ou partie des interventions mécaniques devait suffire à retrouver un équilibre favorable. Le peu d’expériences auxquelles il était possible de se raccrocher arrivait avec des machines spécifiques principalement des États-Unis et du Brésil où les agriculteurs, confrontés à de graves soucis d’érosion, avaient dû réagir avant nous. Cependant, et avec les années, en apprenant des erreurs et des échecs et en capitalisant sur les réussites, une solide expérience locale s’est mise en place. Elle s’est progressivement enrichie d’autres ingrédients stratégiques comme l’intégration de couverts végétaux performants, la modification des rotations et plus récemment l’association de cultures et la localisation de la fertilisation. Le revirement de situation est tel que nous commençons aujourd’hui à produire de solides références qui confirment le bien-fondé de l’orientation et que des pays voisins nous convoitent maintenant. Les approches techniques se sont certes sophistiquées comme les équipements, mais aujourd’hui l’expérience acquise permet d’accéder à un niveau de réussite dans les parcelles qui fait vraiment envie. Ainsi, la question qui revient le plus souvent dans les campagnes n’est plus « Pourquoi le non-labour ? » mais « Comment puis-je m’engager dans cette direction ? ». Si tout n’est pas parfait et que des progrès existent encore, les itinéraires commencent à être bien balisés avec des équipements performants qui devraient permettre à un nombre croissant d’agriculteurs d’accéder rapidement aux TCS et au SD avec un certain confort et un minimum de risques.

Enfin, le niveau de connaissances sur l’organisation structurale et la vie du sol, la matière organique, les flux d’azote et d’éléments minéraux était aussi très rudimentaire et simpliste à l’époque. Grâce aux TCS et au SD, nous avons énormément appris dans ce domaine, nous avons redécouvert et mis au goût du jour les fondamentaux de l’agronomie et commencé à apprécier la formidable complexité tout comme la grande cohérence du vivant. Cette compréhension nous a permis de progressivement passer d’une stratégie de production, où les piliers étaient l’imposition et la lutte, vers une approche plus douce où l’objectif est plutôt de piloter et de valoriser les relations et l’énergie du vivant. Ainsi, l’écologie en tant que science et non idéologie est en passe de devenir l’intrant majeur de nos systèmes et de l’agriculture de demain. Mais face à ces enjeux, nous mesurons aujourd’hui encore plus notre ignorance et notre besoin de connaissance sur le sol, les interactions entre plantes, les relations ravageurs/auxiliaires ou l’allélopathie. La recherche agronomique a donc ici un rôle essentiel à retrouver en tissant une collaboration active avec le terrain.

Au regard de cette évolution, et même si nous l’aurions souhaitée plus rapide, nous pouvons être satisfaits voire fiers du parcours et surtout de l’impact et de la dynamique que cela est en train de générer au sein de l’ensemble du tissu agricole français. Cette réussite, qui est l’œuvre de tous, ne peut que renforcer notre conviction restée intacte. Cependant l’agriculture de conservation, c’est d’abord se mettre en mouvement et en quête permanente de plus d’efficience : l’expérience est un chemin personnel que chacun doit emprunter. Malgré toutes ces années, personne n’a encore atteint un système vraiment abouti mais tout le monde continue de progresser et de tendre à son rythme et selon ses sensibilités vers une agriculture plus productive, plus économe et plus en harmonie avec la nature au gré des expériences et de l’acquisition de connaissances qu’il nous faut continuer de mutualiser.

Avec cette réflexion, toute l’équipe de TCS vous souhaite une bonne année 2011.