Bonduelle, élève appliqué de la réduction des pesticides

Matthieu Quiret - Les Echos, 5 octobre 2011

Le groupe vise 20 % d’intrants en moins dans trois ans. La ferme familiale va déjà au-delà.

C’est l’histoire d’un Belge qui débarque il y a cinq ans dans une ferme du nord de la France. Avec une idée en tête : remiser les gros tracteurs, les charrues et un maximum de produits chimiques. Pas banal dans une exploitation de 400 hectares, qui plus est berceau historique de la famille Bonduelle, et accessoirement siège social du groupe éponyme. Mais Jean Tasiaux, l’agronome de la ferme de la Woestyne, à Renescure, a du tempérament a revendre.
Cinq ans plus tard, il promène ses visiteurs dans des parcelles de petits pois ou de haricots remplies de fleurs, pointe le retour des oiseaux et ramasse des poignées de terre bien plus riche en matières organiques que chez les voisins. Il met en avant une réduction des charges d’intrants : 246 euros l’hectare, quand les collègues frôlent les 500 euros. L’effet d’une baisse de 45% des produits phytosanitaires et d’un coup de frein sur les engrais. Sans compter une consommation de carburant réduite de 40%. Le tout pour une production équivalente.

Une machine venue du Brésil

« Il s’agit simplement de refaire de l’agronomie, l’agriculture l’a oubliée après-guerre » explique Jean Tasiaux. Sa technique fondée sur le non labour du sol et sur un recours limité aux traitements n’a rien de révolutionnaire. Après chaque culture d’été, ses techniciens remplacent le labour par des semis de couverts végétaux (trèfle, phacélie, etc ) qui protègent le sol et le rechargent en azote. Passé l’hiver, ils utilisent une machine très diffusée au Brésil, qui permet de semer les plantations de printemps sans arracher le couvert (semis direct).
Les engins à chenilles sont privilégiés aux roues, le binage hautement pratiqué, l’irrigation raisonnée. Moins de passage, moins d’essence, moins d’herbicides. Les doses d’insecticides et de fongicides ont été revues à la baisse, passant de 150 litres à 20 litres par hectare, pour une utilisation plus précise. Et elles sont répandues au bon moment, quand le vent dort, en fin de nuit.
L’agriculteur s’est mis à tolérer quelques taches de maladie par ci, quelques pertes par là. Jean Tasiaux partage ses pratiques avec le réseau Terr’Avenir, regroupant 150 fermes certifiées ISO 14001 comme lui. Et prend conseil auprès des agriculteurs bio " mais pas ceux de 1968, ça c est n’importe quoi ». Il raconte faussement naïf ne pas comprendre le modèle des coopératives françaises vendeuses et conseillères en intrants de leurs adhérents, un conflit d’intérêt qui n’existe pas en Belgique. Ou évoque l’air de rien le machinisme agricole qui freine l’importation des engins innovants d’Amérique du Sud. Une façon peut -être de pousser à l’achat de machines toujours plus puissantes pour passer sur des sols de plus en plus déstructurés.
Pas question pour autant de donner des leçons. D’abord parce qu’il ne cache pas quelques déconvenues : le retour salvateur des vers de terre a fait croître les dégâts des sangliers,qui en sont friands. ll faut aussi compter avec quelques légumes qui digèrent mal ces techniques, comme les épinards ou les endives. Il reconnaît aussi que la terre des Bonduelle est plutôt riche et légère a travailler.
Le responsable du développement agronomique du groupe Bonduelle, Géry Capelle, est plus prudent encore sur la diffusion de ces pratiques dans les 2 150 exploitations qui alimentent l’industriel. Les légumes ne représentent généralement qu’une petite partie des surfaces de chacun des fournisseurs : difficile donc de leur imposer un bouleversement de leurs pratiques. La place marginale des légumes, 15 % des surfaces agricoles françaises, n’encourage pas par ailleurs les industriels des pesticides a trouver des substitutions aux molécules menacées d’interdiction. Les grandes cultures (céréales, maïs) profitent en comparaison de budget de recherches bien supérieurs.

Mobiliser la filière

Bonduelle consomme 10 % de la production française de légumes. Un levier que l’industriel entend actionner pour mobiliser la filière sur l’objectif phvto 2018 du Grenelle. A cet horizon, les agriculteurs devront " si possible " diminuer de moitié les traitements. Bonduelle s’est donné un objectif intermédiaire : moins 20 % d’ici a trois ans. Cette étape est préparée depuis quelques années. Outre l’expérience de sa ferme familiale, l’industriel collabore avec une petite dizaine de fermes picardes lancées en agriculture intégrée (" Les Échos " du 13 juillet 2010). Pour faire évoluer les pratiques de ses fournisseurs, le groupe joue également sur une adaptation de leur cahier des charges. Depuis deux ans, Bonduelle a par exemple supprimé l’obligation faite aux semeurs de labourer. Une prochaine version, plus directive est en discussion.


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