Cécile Waligora

  • Plantation d'une haie avec une planteuse forestière
  • Bousiers dans un crottin de cheval Tarpan
  • Tas de pierres en bord de parcelle dans l'Yonne
  • Détails du couvert d'été : sorgho, tournesol, radis chinois et colza
18
février
2015

Les abeilles ont faim

JPEG - 112 koPesticides, agresseurs externes et internes, les ruches ont aussi faim. Il y a, dans leur environnement aujourd’hui, trop peu de ressources que ce soit dans l’espace et dans le temps.

Depuis plusieurs années déjà, les ruches se vident de leurs abeilles. En France, bien sûr, mais partout ailleurs. Les uns incriminent les pesticides, les autres, divers pathogènes. Jusqu’à présent, on parlait encore peu de mortalité due à la faim. Si nos chères abeilles souffraient déjà de bien des maux, il est maintenant avéré qu’elles ont aussi faim, ce qui ne va pas arranger une situation déjà alarmante. L’Académie américaine des sciences (NAS) a ainsi publié ce mois-ci, les conclusions d’une étude comportementale dans des ruchers (auteurs : Perry et al.). Elle montre que, notamment du fait d’un défaut de nourriture pour la colonie, les jeunes abeilles sont contraintes de sortir plus tôt que prévu à l’extérieur de la ruche pour aller butiner. D’une part, elles sont trop jeunes et d’autre part, ce qu’elles trouvent en général à l’extérieur ne permet pas de rassasier la colonie. Il n’y a plus assez de fleurs dans l’espace et dans le temps pour subvenir à leurs besoins. Ce qui, à terme, affaiblit la ruche et entraîne une surmortalité. L’étude révèle aussi que les difficultés liées à la malnutrition sont aggravées par la présence d’agents pathogènes dans les ruches et notamment le champignon microscopique Nosema ceranae. Non seulement ce parasite prend le contrôle de la paroi intestinale et des cellules souches qui la composent en perturbant les défenses immunitaires des abeilles mais il produit également une perturbation endocrinienne de la colonie en se surajoutant à d’autres perturbateurs issus du bol alimentaire. On sait que toutes les abeilles d’une colonie sont intimement liées entre elles par un système complexe de reconnaissance et de communication. En synergie, cette perturbation engendrée par N. ceranae bouleverse l’équilibre fragile de toute la colonie.

S’il est difficile pour nous d’agir contre ce parasite, nous pouvons au moins aider les abeilles et plus généralement les pollinisateurs à trouver une nourriture plus abondante et plus diversifiée. C’est une loi simple : si l’abeille est mieux nourrie, elle pourra mieux se défendre ! A défaut de politiques nationales et territoriales en ce sens, continuons, comme nous le faisons en AC, d’introduire un nombre plus important et diversifié de végétaux et d’associations végétales. Il est vraiment urgent de continuer ! Si cela est absolument bénéfique pour la biodiversité du sol, cela l’est aussi de manière incontestée pour tout ce qui vit en surface et au-dessus.


18
novembre
2014

La Terre se vide de sa vie sauvage…

L'Aube (source : C. Waligora)Vous avez forcément eu vent de cette information, copiée-collée d’un média à un autre… Je ne vais pas faire mieux. Mais il est nécessaire d’insister car le sujet vaut mieux qu’une brève intercalée entre tant d’autres à la télé ou à la radio ! Il s’agit d’un terrible indicateur de l’état de santé de notre planète. Fin septembre, l’ONG WWF a établi l’état des lieux de la biodiversité de la planète. Le constat est franchement effarant : en 40 ans seulement, plus de la moitié des animaux sauvages ont disparu ! Le WWF a analysé, entre 1970 et 2010, l’évolution de 10 380 populations de 3038 espèces de mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons. Il en a tiré un indice qu’il nomme indice planète vivante. Celui-ci, pendant ce laps de temps, a ainsi chuté de 52 %. Je répète : 52 % !

Les zones le plus touchées sont l’Amérique Latine, suivie de près par l’Asie-Pacifique, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé chez nous. C’est un déclin général et il apparaît que les espèces vivant en eau douce sont les plus touchées (-76 %) contre -39 % pour les espèces terrestres et marines. Le Fonds mondial pour la nature a bien sûr analysé les causes d’un tel déclin à forte responsabilité humaine : perte et dégradation des habitats, chasse et surpêche, changement climatique. Tout cela aggravé par une démographie humaine galopante. Tenez-vous bien : entre 1961 et 2010, la population mondiale a plus que doublé, passant de 3,1 milliards d’habitants à 7 milliards. Du coup, la biocapacité disponible [1]par personne c’est-à-dire la superficie disponible permettant d’assurer les biens et les services écologiques nécessaires est passée de 3,2 à 1,7 ha.Qu’en sera-t-il en 2050 et sa prévision de 9,6 milliards de terriens et en 2100 avec ses 11 milliards ? Bien entendu, dans son rapport, le WWF incrimine les pays les plus riches dont l’empreinte écologique est la plus forte. Il cite : « si nous vivions tous comme des Qataris, nous aurions besoin de 4,8 Terres, 3,9 en étant américain (du nord) et 1,4 si nous étions sud-africain. »

Pour en revenir à l’une des conséquences, le déclin de la biodiversité, je les cite encore, en guise de conclusion : « une tendance lourde qui ne donne aucun signe de ralentissement… courant à notre perte. » Des mots durs… sans équivoque ! Des planètes, on en a qu’une ! Désolée mais le monde merveilleux de la planète Pandora décrite dans le fameux film de J. Cameron, Avatar, n’est pas encore à notre portée. Pas encore…


15
septembre
2014

Gens des villes et gens des champs

JPEG - 206.8 koEn parallèle de mes activités rédactionnelles, j’ai l’occasion d’accueillir régulièrement des vacanciers. Tous les profils et professions sont représentés : ouvriers, cadres, ruraux, citadins, cavaliers (souvent), sportifs, oisifs, français et étrangers. Nous avons donc des tas de conversations, de réflexions mais aussi de questionnements possibles ! Mais là, on ne m’avait pas encore posé cette question-là… Méritant, du coup, un carnet ! Un couple de citadins (des vrais !) accompagnés de leurs deux jeunes enfants me soumettent ainsi cette question (nous sommes début août) : « à quoi servent les bâtons plantés dans certains champs ? On dirait du plastique. » Hum… des bâtons en plastique ? J’avoue que j’ai mis quelques secondes à identifier ce à quoi ils pensaient et le petit garçon d’insister : « mais si, et des fois ils sont plus petits ! » Et la maman : « un peu comme une planche de fakir… » OK……….. Je vois enfin ce qui les interpelle et j’avoue que j’ai dû faire pas mal d’effort pour garder contenance devant tant de… « d’ignorance »…………… Ces fameux bâtons en plastique sont en fait les cannes de colza ou les chaumes de blé laissés bien droits après récolte… Je leur explique et je me dis qu’au moins, un petit aspect de l’agriculture ne leur échappera plus !

Avec un peu de recul, je trouve que cette anecdote ne peut pas laisser indifférent. Cela me conforte en tous cas de l’énorme fossé qui se creuse entre « les gens des villes » et « les gens des champs ». De plus en plus de citadins s’éloignent de la nature. Beaucoup se disent pourtant défendre ou protéger tel ou tel aspect de l’environnement mais, malheureusement, beaucoup restent ignorants. Et l’ignorance entraîne beaucoup de choses : incompréhension entre les deux « clans », mais aussi, parfois, un désintérêt, voire une crainte. Restons néanmoins optimiste ! A partir du moment où on prend le temps d’expliquer, d’argumenter, tout va, en général, nettement mieux…


22
mai
2014

Symbiose mycorhizienne : la plante ne peut pas refuser !

JPEG - 18.7 koLa racine, lorsqu’elle se développe s’entoure peu à peu d’un cortège de milliards d’organismes, bactéries, champignons… formant un ensemble qu’on appelle la rhizosphère. Celle-ci est donc le lieu d’intenses échanges avec parfois une rude compétition entre les différents acteurs. C’est notamment le cas des célèbres champignons mycorhiziens qui proposent à la plante, via ses racines, une relation dite symbiotique : la plante fournit au champignon gîte et couvert et celui-ci offre au végétal une capacité d’absorption des nutriments décuplée. Mais comment dialoguent-ils ? Comment le champignon reconnaît sa plante hôte ? Comment celle-ci voit en lui un bon partenaire et pas un champignon pathogène ?

Tout passe par un savant dialogue moléculaire entre les deux acteurs dont une partie vient d’être découverte par une équipe mixte de l’Inra de Nancy et de l’Université de Lorraine, accompagnée par le Département américain de l’Energie et l’Université de Western Sydney.

C’est la racine qui fait le premier pas. Lorsque celle-ci est apte à accueillir une symbiose, elle libère dans le milieu proche des quantités infimes de signaux moléculaires. Ces signaux sont alors perçus par les filaments mycéliens du champignon, ce qui déclenche chez celui-ci, la libération de petites protéines à l’intérieur de la racine. Ceci marque le début de la colonisation de la racine par le champignon.

L’une des cibles de ces petites protéines émises par le champignon a été décryptée par ces chercheurs. Il s’agit du récepteur d’une hormone végétale connue, l’acide jasmonique. Connue car identifiée comme déclencheur de réactions de défense chez la plante lors de l’attaque par des organismes pathogènes. Ainsi, en cas d’attaque, cette hormone vient s’accumuler au niveau de son récepteur, s’y lie et le rend inopérant, neutralisant alors l’infestation. Dans le cas de notre champignon mycorhizien, les petites protéines arrivant sur le récepteur de l’hormone empêchent celui-ci de se lier à son hormone, supprimant alors toute la batterie de défenses que la plante aurait dû mettre en place.

Si c’est la plante qui provoque la relation en attirant le champignon, c’est bien lui qui oriente la nature même de cette relation ; la plante étant, quelque part, sous influence, « obligée de suivre ». Si l’étude a porté sur la relation existant entre les racines d’un arbre et son champignon symbiotique, ces résultats peuvent très certainement être généralisés à d’autres symbioses. L’avenir nous le dira puisque fort de ces résultats, l’équipe poursuit l’étude. Elle compte, déjà, identifier les autres cibles végétales des protéines émises par le champignon.


4
avril
2014

La tolérance au lait n’est pas seulement génétique

JPEG - 20.2 koEncore une petite histoire… Cette fois-ci, nous allons parler de lait et de lactose… Quel que soit votre âge et depuis votre plus tendre enfance, vous consommez du lait, directement ou indirectement. Mais, parmi nous, certains tolèrent très bien le lait et d’autres non.

Boire du lait adulte n’est pas naturel

Tolérer le lait lorsqu’on est tout jeune (chez les mammifères, on parle de période d’avant sevrage) est tout à fait normal et naturel. Par contre, cela ne l’est plus lorsqu’on devient adulte. Quitte à en choquer quelque uns, en réalité, boire du lait lorsqu’on est adulte revêt plus d’une anomalie que d’un comportement naturel ! C’est ne plus le tolérer qui est naturel !

Un peu de biologie s’impose… Chez les mammifères, naturellement, l’adulte, qui n’a donc plus besoin de lait maternel, perd sa capacité à métaboliser le lactose. On parle ici de lait et pas de produits laitiers (yaourts, fromages etc.). Ces produits-là contiennent si peu de lactose qu’ils sont digestes pour quasiment tout le monde. Le lactose est un sucre et pour pouvoir l’assimiler, l’organisme a besoin d’une enzyme, la lactase. Les jeunes produisent cette enzyme, ce qui leur permet de métaboliser le lactose. Par contre, en grandissant, ils arrêtent de fabriquer la lactase.

Alors pourquoi donc un tiers de la population adulte est encore capable de digérer le lait ? Autre questionnement : cette tolérance est aussi géographique puisqu’elle est quasiment totale en Europe du Nord et quasi nulle par exemple en Asie du Sud-Est.

Un accès plus facile au lait

L’explication vient d’une mutation car nous aussi, l’espèce humaine subissons, au cours de notre évolution, toutes sortes de mutations. Celle-ci est vraiment infime : une seule base (une seule lettre si vous voulez) qui change sur notre ADN ! D’après les scientifiques, cette mutation serait assez récente et c’est là que l’agriculture pointe aussi son nez… Je m’explique : ce tout petit changement dans l’ADN de certains individus serait survenu il y a environ 7500 ans en Europe centrale d’où le niveau de tolérance au lactose beaucoup plus grand dans cette partie du monde aujourd’hui. Mais la mutation serait également apparue, de manière sporadique ailleurs, expliquant ainsi pourquoi on a aussi de la tolérance dans certaines régions d’Afrique ou du Moyen-Orient. Alors pourquoi cette expansion plutôt rapide de cette mutation ? Il faut, pour cela, que les individus porteurs soient favorisés. Les généticiens ne sont pas encore très catégoriques mais il se pourrait bien que l’explication vienne de l’élevage. En effet, pour que cette mutation se développe rapidement dans une population, il faut que les individus aient un accès plus facile au lait : il faut qu’il y ait un élevage laitier. L’évolution serait donc à la fois génétique (la mutation sur l’ADN) et culturelle ! Pour rappel, l’élevage est apparu chez les premiers hommes au Néolithique.

Je vous l’accorde, dans ce carnet, je me suis un peu éloignée du sol et de l’agriculture de conservation. Mais cette histoire n’est-elle pas fascinante ?


12
mars
2014

La longue, très longue histoire des résistances…

Petit îlot de graminées indésirables dans une orge cultivée en semis direct (photo : C. Waligora)Il est bon de conserver certaines « vieilleries »… Grâce à des collections d’herbiers, vieux parfois de plus de 200 ans, des chercheurs montrent que, bien avant l’utilisation d’herbicides (au sens de molécules organiques de synthèse), les résistances existaient déjà…

Parlons un peu de ces herbicides. Ces molécules de synthèse sont une création de la seconde guerre mondiale. Elles ciblent certaines fonctions vitales des plantes dites indésirables ou adventices. Mais ces molécules ont une durée d’action limitée dans le temps… En effet, dans une population donnée d’adventices, toutes n’ont pas la même sensibilité à l’herbicide et après l’emploi de celui-ci, seuls les individus sensibles sont éliminés. Restent les individus possédant naturellement un ou plusieurs gènes de résistance. Et, au fur et à mesure de l’application de cette même molécule, les individus résistants sont de plus en plus nombreux, rendant l’herbicide de moins en moins efficace. Ainsi, de manière naturelle, l’ADN des plantes, d’une génération à une autre, subit spontanément des mutations.

Les travaux en question ont été réalisés dans l’unité d’agro-écologie de Dijon et portent sur des herbiers issus des collections de Dijon, Genève et Montpellier. Les chercheurs ont donc travaillé sur des plantes qui n’avaient jamais connu une seule goutte d’herbicide, notamment des vulpins. L’analyse de l’ADN de 734 plantes collectées entre 1788 et 1975 a permis de trouver une mutation chez une plante datée de 1888 et cette mutation est actuellement la plus répandue dans les populations de vulpin. La résistance était donc présente avant l’emploi de molécules herbicides mais cela suggère aussi que la fréquence naturelle de plantes résistantes pourrait être plus élevée que ce que l’on pouvait bien penser. Conséquence logique : le risque de résistance suite à l’emploi d’herbicides est sans doute plus élevé encore que ce qui est admis.

Bien entendu, cela ne met pas encore plus de discrédit sur les molécules herbicides de synthèse. Simplement, cela appuie encore plus le devoir d’utiliser non pas un mais des moyens de contrôle du salissement, en premier lieu notre fameuse rotation longue, diversifiée et équilibrée.